Le Pruneau et Agen

De la route de la Soie…

Les pruneaux, connus depuis la plus haute antiquité, sont venus de Chine par la route de la soie jusqu’en Syrie.

Déjà cultivés par nos ancêtres les Gaulois, ce sont les Romains qui ont propagé la culture et le séchage des pruneaux sur tout le pourtour méditerranéen, jusque dans le Sud-Ouest de la Gaule romaine et les coteaux de la Garonne.

En effet, en Gaule, c’est dans la province Romaine de la Narbonnaise, qui s’étendait jusqu’au Quercy actuel, aux portes de l’Agenais, que les Romains ont planté plusieurs variétés de prunes, dont la prune de Saint-Antonin dite aussi prune Maurine, petite prune bleue sans doute la plus ancienne et la plus répandue, qui produisait un pruneau très noir et de petit calibre.

D’autres variétés de Prunes de Damas, furent rapportées ensuite de Syrie par les Croisés dans l’Agenais au XIIe siècle, notamment lors de la IIIème croisade. Ce sont les moines Bénédictins de l’Abbaye de Clairac, dans le Lot-et-Garonne, qui par croisement, par greffage avec les pruniers locaux, vont sélectionner cette nouvelle variété de Prune d’Ente (en vieux français “enter” signifie “greffer”).

Cette nouvelle variété à peau fine d’une belle robe bleu mauve à pruine (fine couche cireuse légèrement poudreuse) blanche est bien adaptée aux terroirs du Sud-Ouest, à son climat comme aux conditions de séchage. Le nouveau pruneau qui en résulte est d’un gros calibre avec des saveurs et des arômes délicats.

Grâce à leurs qualités nutritionnelles, leur facilité de conservation et de transport, les pruneaux font, à partir du XVIIe siècle, l’objet d’un commerce étendu. Les premières réglementations du marché de la prune apparaissent alors dans certains bourgs de la région, signe de l’importance de cette production pour l’économie régionale. 

C’est grâce à son port sur la Garonne, qu’Agen est devenu la ville principale des expéditions de pruneaux. Ils étaient embarqués sur les gabarres, petits bateaux à voile, qui transportaient sur la Garonne les marchandises vers Bordeaux où ils étaient transbordés sur des bateaux adaptés à la navigation en mer. Comme ces pruneaux étaient estampillés du nom du port d’embarquement d’origine, ils étaient connu sous la dénomination « Pruneaux d’Agen ». Agen associera définitivement son nom au Pruneau, qui continue de s’appeler « Pruneau d’Agen ».

… aux coteaux du Lot-et-Garonne

Au cours de l’hiver 1709, un froid terrible détruisit un grand nombre de pruniers. Au fil des années, la production se déplaça du Quercy vers l’Ouest, dans la région du Villeneuvois et de l’Agenais, réputée moins froide, sur les terres argilo-calcaires de la Guyenne et de la Gascogne faisant de cette région du Sud-Ouest, le long des vallées et des coteaux de la Garonne et du Lot, la terre d’élection de la culture de la Prune d’Ente.

Les vergers sont alors plantés en « joualles ». La joualle est un mode de culture ancien, disparu de nos jours, dans lequel les rangs de pruniers étaient plantés à large distance les uns des autres, et intercalés d’autres cultures. Souvent, un rang de vigne était associé à chaque rang de pruniers.

Dans le même temps, la technique alternant séchage au soleil et séchage au four à pain pour finir le séchage des pruneaux se généralise.

Le Pruneau d’Agen, apprécié dans toute l’Europe, partant depuis le grand port de Bordeaux au temps de la marine à voile par-delà les mers, se vend dans le monde entier, du XVIIe, où il connaîtra un essor considérable, jusqu’au XIXe siècle, en faisant ainsi la renommée de l’Agenais et du pruneau.

Le Pruneau d’Agen a toujours fait partie des ravitaillements de la marine à voile du temps de la Royale et plus tard de la marine marchande à vapeur. Ainsi embarqué comme provision de bord pour les voyages au long cours, le Pruneau d’Agen fera le tour du monde au-delà des mers et des océans, sur tous les continents. Les marins l’appréciaient pour son goût et ses qualités nutritionnelles. Mélangé à un appareil à flan composé d’œufs de farine et de sucre, les marins créeront ainsi la fameuse recette du far breton aux pruneaux.

Après la chute de l’Empire napoléonien, la paix restaurée avec les pays d’Europe voisins, la liberté du commerce et le dynamisme productif du XIXe siècle permettent de développer considérablement les ventes, et donc la production. La culture du prunier d’Ente se développe tout au long de ce siècle, ainsi que l’utilisation d’étuves spécialement étudiées pour le séchage des prunes. Les claies en forme de part de tarte sont disposées en rond et introduites dans une étuve, chauffée au bois.

Le milieu du XIXe siècle est un véritable âge d’or pour le pruneau avec une production annuelle de soixante-dix mille tonnes par an et plus de vingt mille tonnes exportées chaque année en Amérique du Nord. C’est ainsi qu’il s’est implanté en Californie, puis en Argentine et au Chili, en Afrique du Sud et en Australie.

On dénombre en 1894, dans le seul département de Lot-et-Garonne, cinq millions de pruniers en production et un million de jeunes arbres. Les départements voisins du Gers, du Tarn-et-Garonne, du Lot, de la Dordogne et de la Gironde sont également producteurs.

Les Pruneaux d’Agen deviennent en même temps célèbres dans le monde entier, en témoigne l’oeuvre de Léon Tolstoï, La Mort d’Ivan Illitch en 1886 : « Lui avait-on proposé de manger des pruneaux qu’il évoquait aussitôt ceux de son enfance, noirs et ridés, d’une saveur particulière, des pruneaux d’Agen qui vous remplissaient la bouche de salive quant il ne restait plus que le noyau. »

Dans la première moitié du XXème siècle, la concurrence de nouveaux pays producteurs et l’impact de la Première Guerre Mondiale sur la population agricole ont engendré un fort déclin de la production de Pruneaux d’Agen.

Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, la relance de la production française se fait avec la plantation de vergers modernes avec de nouvelles sélections variétales au sein de la famille prune d’Ente. Les équipements techniques évoluent également avec par exemple la mise en place de tunnels de séchage.

Les éléments de savoir-faire demeurent toutefois primordiaux dans cette production : maîtrise de la taille, récolte à maturité optimale, contrôle du séchage de la prune afin d’obtenir le taux d’humidité final requis sans brûler les fruits.

Dans le même temps, les transformateurs développent des techniques de réhydratation et de conservation afin de présenter le produit « prêt à consommer » alors que les Pruneaux d’Agen sont encore traditionnellement vendus « secs » aux consommateurs qui les réhydratent ensuite chez eux. La méthode, la durée, la température sont autant de facteurs qui permettent aux transformateurs de produire un pruneau conservant tous ses arômes tout en améliorant la souplesse de sa chair.

Enfin, l’artisanat agroalimentaire local a développé, à partir des Pruneaux d’Agen des confiseries ou des préparations alimentaires diverses qui constituent un nouveau débouché pour la production.

Après ces années de labeur, et la structuration de la filière qui permet son développement économique et la promotion du Pruneau d’Agen, la production regagne ses lettres de noblesse avec l’obtention d’une IGP en 2002 par l’Union Européenne.

La filière en chiffres clés

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